« Il y a urgence à sortir des emprunts toxiques ». A l’Assemblée de Corse, jeudi matin, le président de l’Exécutif de la Collectivité de Corse (CdC), Gilles Simeoni, ne cache pas son inquiétude. Il demande une procédure d’urgence pour se débarrasser des fameux emprunts toxiques hérités du Conseil départemental de Haute-Corse et rendus potentiellement encore plus toxiques par la crise financière qui se profile dans le sillage de la crise sanitaire. Les emprunts toxiques, ce sont ces fameux emprunts Dexia – du nom de la banque franco-belge, spécialiste du financement des collectivités, qui les a proposés à partir de la fin des années 1990 – dans lesquels se sont engouffrés des milliers de collectivités locales – communes, départements et régions – en pensant faire une bonne affaire.
Un produit miracle
Ce prêt, vendu comme un produit miracle dans un contexte de forte concurrence bancaire, était censé leur garantir un financement à moindre coût et, donc, une réduction drastique de leurs charges. Le problème est qu’il a la particularité d’être structuré et à taux d’intérêt variable. Cela signifie qu’il comprend deux périodes : une première courte à taux d’intérêt très bas, voire nul, et une deuxième, bien plus longue, avec un taux indexé de manière plus complexe sur des valeurs financières comme la parité euro/franc suisse, des indices de marché, des matières premières… qui sont, par essence, volatiles. L’euphorie cède très vite à la panique après la crise financière de 2008, quand, par exemple, le franc suisse s’envole et fait flamber les taux. Nombre de collectivités, qui avaient massivement contracté ces prêts jusqu’à 20% de leur dette globale, risquent la faillite et se retournent contre Dexia qui sombre. La banque est remplacée pour le financement des collectivités locales par la SFIL, société publique détenue à 75% par l’Etat, 20% par la Caisse des dépôts et 5% par la Banque postale.
Le chant des sirènes
En 2013, pour trouver une issue, le gouvernement ouvre un fonds de soutien aux collectivités avec pour contrepartie attendue de renoncer aux actions contentieuses engagées au civil ou au pénal contre les banques prêteuses. L’ex-Conseil départemental de Haute-Corse (CD2B), qui avait cédé, à quatre reprises, entre 2006 et 2012, au chant des sirènes, n’y souscrit pas et choisit de continuer sur la voie judiciaire. « S’il l’avait fait, 75% de la dette aurait été prise en charge par l’Etat », précise Gilles Simeoni. En 2017, Bercy annonce une session de rattrapage pour les collectivités issues de fusion, le président du CD2B, François Orlandi, demande à y adhérer. Un projet de protocole transactionnel est signé, mais la SFIL et le gouvernement ne l’ont jamais entériné. Après la fusion des trois collectivités, la nouvelle Collectivité de Corse hérite de cette bombe à retardement. « A partir de 2018, nous avons négocié avec les préfets successifs et directement avec le gouvernement et sommes parvenus à quelques encablures de la signature d’un accord. On ne peut pas me faire le reproche de ne pas avoir discuté avec le gouvernement de façon sereine, argumentée et constructive pendant deux ans et demi. Il nous a été dernièrement signifié que la décision concernant le fonds de soutien était clôturée et qu’il n’y aurait pas de prise en charge, fut-elle, partielle de l’opération de rachat. Nous sommes obligés d’avancer seuls ».
La crise économique et financière générée par l’épidémie de Covid-19 accentue le risque pour les finances de la CdC. « Il reste à devoir un capital de 43,1 millions €, soit 17 années de remboursement. Nous remboursons en moyenne par an : 7,1 millions € en fonctionnement et 1,7 million € en capital. Sur les quatre emprunts toxiques, deux sont particulièrement dangereux parce qu’ils sont indexés sur la parité euro/franc suisse. Un risque financier majeur aggravé par la crise actuelle parce que l’euro a tendance à décrocher par rapport au franc suisse. Sur ces deux emprunts, nous payons un intérêt supérieur à 20% et qui pourrait passer très vite à 35%. Cela signifie que la charge de remboursement pourrait atteindre 10 à 12 millions € par an. C’est un risque majeur, une terrible épée de Damoclès qui pèse sur la CdC ». Pour le président de l’Exécutif corse, il y a « une urgence absolue » à en sortir, d’autant que s’est ouverte « une fenêtre d’opportunité avec la SFIL » qu’il faut immédiatement saisir de peur qu’elle ne se referme.Un choix raisonnable
Que propose la SFIL ? « Une indemnité de remboursement anticipé (IRA) à des conditions très avantageuses ». L’idée est de solder l’emprunt toxique en contractant un autre emprunt à un taux préférentiel de 0,35% sur 25 ans alors que le taux du marché actuel est de 0,90%. Les autres emprunts seront garantis au même taux à concurrence de 60 millions € la première année et de 30 millions € les deux années suivantes. « Nous envisageons d’emprunter pour rembourser, non seulement le capital restant du, mais également les intérêts, soit un total de 73 millions €. Alors que nous payons aujourd’hui 7,1 millions € en fonctionnement et 1,7 million € en capital, nous allons basculer le fonctionnement en investissement. Nous ne paierons plus que 5 millions € en investissements et 300 000 € en fonctionnement. Nous allons, ainsi, retrouver des marges de manœuvre en fonctionnement et de la capacité à emprunter. Donc, nous préservons notre épargne brute. C’est le choix le plus raisonnable et le moins risqué pour sortir de cette impasse financière. La contrepartie est d’abandonner les procédures en cours, aucune procédure n’a abouti ».
Seul à intervenir, l’ex-président du CD2B, François Orlandi, élu du groupe Anda per Dumane, approuve cette décision. « Le président de l’Exécutif a très bien résumé la situation d’un point de vue historique et dont j’ai moi-même héritée. J’aurai pu tomber dans le panneau des emprunts toxiques parce que je crois que même ceux qui les proposaient aux collectivités n’en connaissaient pas eux-mêmes la toxicité. Il fallait régler le problème ». Il reconnaît : « L’Etat n’a pas tenu sa parole ». Pour lui aussi, il n’y a pas d’alternative : « Il faut saisir cette opportunité parce qu’il n’y en aura pas d’autres. Il aurait été intéressant de scinder de manière très claire les deux lignes d’emprunts ». Le taux proposé « est une manière pour l’Etat de répondre favorablement au manquement qui a été le sien par le passé. Le coût global de l’opération initiale est plus ou moins neutralisé avec la proposition qui est faite ». Avec un bémol : « L’évolution de la dette de la collectivité se trouve augmentée par le prêt concernant les IRA et par la deuxième ligne budgétaire qui vient équilibrer le budget ».
Le président de l’Exécutif prend acte, tout en récusant ce dernier point. « On n’aggrave pas notre endettement ! A partir du moment où on doit rembourser 73 millions €, ça pèse sur le budget, mais, in fine, c’est une opération très avantageuse, nous en avons tous conscience. Ces opérations de refinancement nous permettent d’intégrer les montants des ressources sur l’exercice en cours et, donc, de retrouver des marges budgétaires pour financer l’urgence et la relance dans le cadre de la réponse économique et sociale à la crise du COVID ». Il s’étonne que certains groupes d’opposition aient refusé de voter l’urgence. « Je ne comprends pas ! Chaque fois que nous perdons un mois, cela peut nous coûter très cher, il faut s’affranchir définitivement du risque d’une débâcle financière ». Les divers protocoles seront validés dès ce vendredi.